Pour redonner un peu de sens à notre mission…
Le samedi 21 novembre, le Pape François entamait un dialogue avec les participants au Congrès mondial sur l’éducation, organisé par la congrégation pour l’éducation catholique. En voici quelques extraits particulièrement riches de sens pour nous.
Le Pape était d’abord interrogé sur ce qui faisait qu’une « institution était vraiment chrétienne ». Voici sa réponse :
Il me vient à l’esprit ce qu’a dit un grand penseur : « Eduquer, c’est introduire dans la totalité de la vérité ». On ne peut parler d’éducation catholique sans parler d’humanité, parce que précisément l’identité catholique est Dieu qui s’est fait homme. Aller de l’avant dans les comportements, dans les valeurs humaines, pleines, ouvre la porte à la semence chrétienne. Ensuite vient la foi. Eduquer chrétiennement, ce n’est pas seulement faire une catéchèse : ce n’en est qu’une partie. Ce n’est pas seulement faire du prosélytisme — ne faites jamais de prosélytisme dans les écoles ! Jamais ! — Eduquer chrétiennement suppose de faire progresser les jeunes, les enfants dans les valeurs humaines dans toute leur réalité, une de ces réalités étant la transcendance. Il y a aujourd’hui une tendance au néopositivisme, c’est-à-dire éduquer aux choses immanentes, à la valeur des choses immanentes, et ce aussi bien dans les pays de tradition chrétienne que dans les pays de tradition païenne. Et cela n’introduit pas les jeunes, les enfants dans la réalité totale : il manque la transcendance. Pour moi, la crise de l’éducation la plus grande, dans une perspective chrétienne, c’est cette fermeture à la transcendance. Il faut préparer les cœurs pour que le Seigneur se manifeste, mais dans la totalité ; c’est-à-dire, dans la totalité de l’humanité qui a aussi cette dimension de transcendance. Eduquer humainement, mais avec des horizons ouverts. Aucune forme de fermeture n’est utile à l’éducation.
Quelqu’un interrogeait ensuite le Pape pour qu’il précise « la culture de rencontre » qu’il veut promouvoir. C’est l’occasion pour le Pape de rappeler qu’il doit exister un pacte éducatif entre l’école, les familles, l’Etat. Et ce n’est pas parce que ce pacte est rompu qu’il faut l’oublier. Un vrai pacte éducatif refuse la sélection et l’élitisme.
Il est vrai que non seulement les liens éducatifs sont rompus, mais l’éducation est aussi devenue trop sélective et élitiste. Il semble que nous ayons orienté vers l’éducation seulement les peuples ou les personnes qui ont un certain niveau ou certaines capacités : il est sûr que tous les enfants, tous les jeunes, n’ont pas droit à l’éducation. C’est une réalité mondiale qui nous fait honte. C’est une réalité qui conduit à une sélection entre les hommes et qui, au lieu de rapprocher les peuples, les éloigne ; cela éloigne aussi les riches et les pauvres ; cela éloigne une culture de l’autre… Cela arrive aussi à une plus petite échelle : le pacte éducatif entre la famille et l’école est rompu ! On doit recommencer. Même le pacte éducatif entre la famille et l’Etat est rompu.
Pour recréer ce pacte éducatif, n’hésitons pas à relire notre histoire et à inventer des chemins nouveaux qui unissent davantage dans un monde marqué par l’exclusion.
Don Bosco, à l’époque de la pire des franc-maçonneries du nord de l’Italie, a cherché une « éducation d’urgence ». Aujourd’hui aussi, il faut une « éducation d’urgence », on doit cibler une « éducation informelle », car l’éducation officielle s’est appauvrie à cause de l’héritage du positivisme.
Elle ne conçoit qu’un technicisme intellectuel et le langage de la tête. C’est pour cette raison qu’elle s’est appauvrie. Il faut rompre avec ce schéma. Il y a des expériences, avec l’art, le sport… L’art et le sport éduquent ! Il faut s’ouvrir à de nouveaux horizons, créer de nouveaux modèles… Il y a tellement d’expériences : vous connaissez bien celle que vous avez présentée, les « Scholas occurrentes », qui cherchent justement à ouvrir, ouvrir l’horizon à une éducation qui ne soit pas seulement de l’ordre du langage de la tête. Il y a trois langages : le langage de la tête, le langage du cœur, le langage des mains. L'éducation doit se diriger dans ces trois directions. Enseigner à penser, aider à bien ressentir et accompagner dans l’action, afin que les trois langages soient en harmonie ; que l’enfant, le jeune pense ce qu’il ressent et ce qu’il fait, ressente ce qu’il pense et ce qu’il fait, et fasse ce qu’il pense et ressent. C’est ainsi qu’une éducation devient inclusive car tout le monde a une place ; et elle devient aussi inclusive humainement. Le pacte éducatif a été cassé par le phénomène de l’exclusion. Nous cherchons les meilleurs, nous les sélectionnons — qu’ils soient les plus intelligents, ou qu’ils aient le plus d’argent pour payer l’école ou la meilleure université — et nous laissons les autres de côté. Le monde ne peut progresser avec une éducation sélective, car il n’y a plus de pacte social qui rassemble tout le monde.
Pour recréer un pacte éducatif, osons à nouveau entrer en dialogue.
Je crois que la situation d’un pacte éducatif rompu, comme c’est le cas aujourd’hui, est grave, c’est grave. Parce qu’il pousse à sélectionner des « surhommes », mais seulement sur le critère de la tête et seulement sur le critère de l’intérêt. Derrière cela, il y a toujours le fantasme de l’argent — toujours ! — qui détruit la véritable humanité. Il y a une chose qui aide aussi, ce côté informel, sain et respectueux ; et cela fait du bien, dans l’éducation. Parce qu’on confond formalisme avec rigidité. Et je reviens à la question initiale : là où il y a rigidité il n’y a pas d’humanisme et là où il n’y a pas d’humanisme, le Christ ne peut entrer ! Il trouve les portes fermées ! Le drame de la fermeture trouve ses racines dans la rigidité. Le peuple veut autre chose, et quand je dis le « peuple », je dis les gens, nous tous, les familles… Elles veulent de la coexistence, elles veulent le dialogue — le cardinal Versaldi a souligné cela : elles veulent le dialogue. Mais quand le pacte éducatif est rompu, quand il y a de la rigidité, il n’y a pas de place pour le dialogue : moi j’ai mon avis, tu as le tien et il n’y a pas de place pour l’universalité et la fraternité.
Que signifie finalement concrètement pour un éducateur « promouvoir et vivre une culture de la rencontre » ?
Cela signifie risquer. Un éducateur qui ne sait pas risquer, ne sait pas éduquer. Un papa et une maman qui ne savent pas risquer, n’éduquent pas bien leurs enfants. Risquer de manière raisonnable. Qu’est-ce que cela signifie ? Apprendre à avancer. Quand tu apprends à un enfant à avancer, tu lui apprends qu’une jambe doit être fixe, sur le sol qu’elle connaît ; et qu’avec l’autre, il doit essayer d’aller de l’avant. Comme cela, s’il glisse, il peut se rattraper. C’est cela, éduquer. Tu es sûr de ce point, mais cet autre point n’est pas définitif. Tu dois faire un autre pas. Peut-être glisseras-tu, mais tu te relèves et tu avances… Le vrai éducateur doit être un maître du risque, mais du risque raisonnable, on se comprend.
Le plus grand défi que nous ayons à relever en ces temps qui sont les nôtres, c’est de refuser les murs.
Le plus grand échec pour un éducateur, c’est d’éduquer « entre les murs ». Eduquer entre des murs : les murs d’une culture sélective, les murs d’une culture de la sécurité, les murs d’un secteur social qui est dans l’aisance et ne va plus de l’avant.
Puissions-nous trouver dans ces mots du Pape François trouver un encouragement à aller de l’avant et à faire de nos écoles des lieux de plus en plus catholique, c’est-à-dire ouverts à tous, attentifs à tous, respectant tous.